Les données : nouvel outil des villes
Croissance, écologie, urbanisme : comment la donnée peut révolutionner nos territoires ?
Réinventer nos territoires pour répondre aux enjeux du futur
En 2050, la population des villes aura été multipliée par 30 par rapport à 1900. Elle occupera 2 % de la surface du globe et représentera 75 % des 10 milliards d’habitants attendus sur notre planète cette même année. Nos territoires vont devoir s’adapter à la forte croissance du nombre de citadins mais cette évolution n’est pas nouvelle. Face à des développements parfois brutaux, les villes ont souvent été à l’avant-garde des innovations techniques. Le fonctionnement de la cité est ainsi lié aux progrès et aux différents enjeux sociétaux qui ont traversé les siècles.
De nos jours, c’est en partie sur le numérique que les villes peuvent s’appuyer pour accompagner leur mutation. En France, elles profitent de la volonté de l’État de donner aux collectivités un pouvoir d’autonomie dans l’élaboration de leurs politiques publiques avec les lois de décentralisation de 1982, la loi n°99-586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale et, en 2014, la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles.
Le défi démographique inhérent à la croissance des villes rencontre désormais la multiplication des contraintes liées à notre époque. Écologie, cadre de vie et transparence politique sont d’autant de facteurs à prendre en compte dans l’élaboration d’une vision à long terme de nos territoires. La stratégie numérique des collectivités nécessite ainsi d’être constamment réévaluée en même temps que grandissent les technologies et leurs usages. Ce numérique qui évolue est aujourd’hui fortement lié à la capacité que nous avons de capter de l’information, d’optimiser sa gestion et d’assurer sa diffusion. Les collectivités prennent ainsi progressivement conscience que les données qu’elles détiennent, par la connaissance du territoire qu’elles apportent, sont une richesse stratégique incontournable.
Il n’est d’ailleurs plus nécessaire de démontrer que le contrôle et l’exploitation de la donnée dans notre société sont devenus indispensable. Même si ce fonctionnement existe depuis l’apparition des systèmes d’information modernes dans les années 1980, il a été popularisé à grande échelle dans les années 2010 grâce à l’explosion des capacités de stockages et l’apparition de nouveaux outils facilitant l’analyse des données. Venu du privé, la capacité à baser une partie de sa croissance sur l’exploitation des données s’est largement démocratisée et s’est aussi fait une place dans nos administrations. C’est le cas au niveau national avec de grands travaux de modernisation de l’action publique mais aussi à un niveau plus local avec des collectivités qui, de par leur échelle et leur organisation ont tout intérêt à faire émerger une véritable politique de la donnée (notamment de la donnée ouverte) pour contrôler leur action, calquer leurs nouveaux projets sur la réalité des territoires et permettre davantage de transparence.
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Les villes en première ligne dans l’exploitation de la donnée citoyenne
Les collectivités possèdent aujourd’hui une multitude de données sur des domaines variés : transport, économie, administratif, tourisme, urbanisme, énergie… Nous avons vu se développer au sein de grandes métropoles mondiales une multitude de façons de les valoriser. On parle même de l’existence de la ville intelligente : une ville fonctionnant en partie sur l’usage de la donnée. Durant ces dernières années, nous avons pris conscience qu’il ne suffisait pas de détenir un très grand nombre de données pour maximiser la valeur (on parlait alors surtout de BigData) mais que la qualité et la pertinence de celles-ci étaient tout aussi essentielles.
De par ce contexte, l’élaboration d’une stratégie ambitieuse de la donnée au sein des collectivités est une obligation pour qui veut voir son administration ancrée dans son temps, profitant des meilleurs avantages de l’innovation numérique et préparant l’avenir avec l’arrivée de l’intelligence artificielle. Dans l’administration locale, cette stratégie doit être portée par une équipe dédiée à ces questions, experte des problématiques de gouvernance, de stockage et d’exploitation. Néanmoins, bien que pensée localement, cette vision s’inscrit dans une ouverture et une collaboration obligatoire entre les différents partenaires institutionnels que sont l’État, la région, le département, les établissements publics de coopération intercommunale, l’ANCT, ainsi que les communes. Cette collaboration permet d’évaluer les besoins à venir mais aussi de caractériser les données qui peuvent être recueillies et mises à disposition. On peut alors sélectionner celles qui profiteront uniquement à l’administration et celles qui pourront être accessibles de manière simple, gratuite, et exploitable par tous. C’est ce que l’on appelle l’open data. Cette ouverture répond à un besoin des citoyens d’obtenir une réelle visibilité sur les informations qui permettent de mieux comprendre la vie publique (pour plus de détails, le sujet a déjà été traité dans un article spécifique).
En France, les collectivités territoriales de plus de 3 500 habitants, employant au moins 50 agents ont d’ailleurs obligation d’ouvrir certaines informations. Ainsi 95% des régions 60% des départements et intercommunalités pratiquent déjà une politique d’ouverture. La collectivité doit maitrîser la donnée brute qu’elle souhaite ouvrir puis l’ensemble de la chaîne de traitement qui permet la mise en ligne de ces données. Cette politique oblige les collectivités à assurer l’animation de cette ouverture (hackathon, rencontres, dialogue…) afin de favoriser le maximum de réutilisations. De ce fait, une bonne gestion des données va ainsi permettre de faciliter la rédaction d’études croisées et de produire des analyses prédictives que ce soit par la collectivité elle-même ou par des utilisateurs externes (citoyens, entreprises, organismes de recherche). Les données peuvent en effet, permettre le pilotage des performances des différents services municipaux, d’anticiper et de résoudre des problèmes urbains, enfin, de créer une dynamique d’innovation avec la création de nouveaux espaces de collaborations ouverts à de nombreuses parties prenantes. Cette profusion d’opportunité, cette émulsion d’énergie peut rendre aux collectivités des services bien au-delà des perspectives souhaitées.
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Opportunités et gouvernance : favoriser les actions concrètes et ne pas faire de la donnée un simple outil de communication
Comme l’explique Ruthbea Yesner, « Les données en soi ne sont pas un élément différenciateur. Ce qui fait vraiment la différence, c’est la façon dont une ville ou son fournisseur exploite ces données. ». Il existe en effet, pour les collectivités, de multiples possibilités de récolte comme de multiples possibilités d’exploitation, et ce, dans différents domaines stratégiques.
Le domaine des transports par exemple possède une maturité significative en termes de qualité des données. Elle est permise par la quantité, l’organisation et la complémentarité des acteurs publics ou privés qui sont en activité dans le secteur. Sa dimension locale, son exploitation simple et son caractère indispensable pour les sociétés d’exploitation en font une cible de premier choix quand on veut s’essayer à l’analyse des données territoriales ou à la mise en place de sa diffusion. Généralement, il s’agit d’ailleurs du secteur le plus proposé en open data par les collectivités. C’est le cas des grandes métropoles françaises dont la ville de Paris qui propose aujourd’hui; par exemple, 79 jeux de données concernant la mobilité, 62 sur l’urbanisme et 10 sur la culture. Étant en concomitance avec nombre de problématiques majeures de notre temps, il s’agit aussi d’un des secteurs attirant le plus de projets de réutilisation. Itinéraires, contrôle des flux ou observation du développement des nouvelles mobilités sont les thèmes de nombreux projets qui ont été à l’avant-garde de l’utilisation de la donnée locale.
Comme la majorité d’autres sous-ensembles, le principal enjeu réside ici dans le fait d’éviter que les projets s’organisent en silo. La donnée doit être disponible sur les mêmes plateformes peu importe les acteurs concernés (RATP, vélo en libre-service…) voire même agrégées au sein des mêmes jeux de données. Aussi, de nombreux projets de mobilité ont aussi vu le jour grâce à la dimension instantanée des données de mobilité. Les informations en temps réel permettent un impact fort sur la vie des habitants. C’est par exemple le cas dans la ville de Boston aux Etats-Unis qui a vu naître en 2010 la plateforme “Where’s my School Bus” permettant aux élèves de la ville de connaître en direct la position de leur bus de ramassage scolaire. Des applications très populaires basant leur fonctionnement sur l’open data comme CityMapper sont ensuite devenus des références mondiales en terme de nombre d’utilisateurs et de stratégie de mise à disposition de l’information par le traitement de la donnée publique. Même s’il s’agit sans doute d’un des secteurs les plus développé, le chemin vers une intégration complète de la donnée dans les processus de réflexion est encore long. À court terme, dans un souci d’optimisation des mobilités douces, l’accroissement du nombre de capteurs de véhicule va devenir essentiel dans l’adaptation de la voirie face à l’accroissement du nombre d’habitants et l’éclatement des mobilités au détriment du tout voiture. À noter que les habitants demandent aujourd’hui des études sérieuses avant la prise de décisions qui concernent l’urbanisme. Entre autres, bon nombre de Parisiens déplorent aujourd’hui une gestion hasardeuse et injustifiée du développement de certains aménagements urbains alors qu’avec une mesure des flux efficace, il serait plus facile de légitimer des évolutions ancrées dans un processus d’optimisation de la répartition de l’espace.
A contrario, il existe d’autres domaines stratégiques qui ne semblent pas encore imprégnés par la culture de la donnée. Celui de l’énergie est le parfait exemple de retard criant dans la démocratisation de sa gestion par les collectivités. Même si quelques initiatives voient le jour qui pourraient créer une nouvelle dynamique dans l’usage de la donnée énergétique son potentiel est loin d’être totalement exploité. La communauté de communes du Pays Haut-Val-Alzette, au nord de la Lorraine, utilise par exemple les données de mobilités en temps réel pour gérer l’intensité de l’éclairage public dans les rues en fonction de l’affluence : une initiative peu coûteuse qui permet de fortes économies d’énergies. La métropole d’Angers a aussi démarré un projet global et transversal autour de la donnée. Grâce à l’interconnexion entre acteurs privées et publiques, elle veut automatiser le contrôle et l’analyse de différents mécanismes : de la gestion des feux tricolores à l’arrosage automatique des parcs en passant par la surveillance des réseaux d’eau. Ainsi comme le révèle Frédéric Esperet à La Gazette : “L’objectif prioritaire d’une gestion intelligente est d’identifier précisément ces problèmes [de pression] et de réduire le volume des fuites notamment grâce à un pilotage fin de la pression”. En installant des capteurs, Angers compte bien accroître la durée de vie de ses canalisations.
Ces quelques exemples uniques ont un point commun : ils répondent à un véritable besoin. C’est dans cette optique que doit être utilisée la donnée. Il ne s’agit en effet pas d’un simple outil de communication pour prouver au reste du monde la modernité d’une collectivité. Comme il ne suffit pas de diffuser ses données librement pour que celles-ci soient utilisées, la récolte doit être effectuée dans une perspective bien définie de concert avec les acteurs du secteur. Il n’est malheureusement plus rare de voir des collectivités travaillant sur leurs données par obligation légale sans pour autant identifier la réelle valeur qui pourrait en être tirée.
Les possibilités sont infinies : appréciation facilité du stationnement, surveillance des réseaux d’énergie, gestion des déchets, recommandation touristiques optimisée… De ce fait, les collectivités françaises doivent viser leur mutation en territoires intelligents dans un souci d’innovation, d’économie et d’écologie et ce chemin ne se fera pas sans le développement pour chacune d’une véritable politique de la donnée.