Crise de la participation électorale chez les jeunes : les enjeux de l'open data
L’implication électorale, la citoyenneté partisane, le rôle des partis : notre pays semble peu à peu perdre de sa puissance démocratique...
Les jeunes se détournent de l’engagement civique classique
Au lendemain du second tour de l'élection présidentielle de 2022, tous les signaux sont au rouge. Le 24 avril 2022, l'abstention est au plus haut, particulièrement chez les 18-24 ans qui n’ont été que 59% à se rendre dans les bureaux de vote. S'immisçant dans toutes les couches de la société, le désamour de la politique a atteint, en cette journée, un point de crispation sévère et a définitivement remis en lumière une problématique latente.
En France, pays démocratique à la population historiquement engagée, on observe depuis le début des années 90, une participation toujours plus basse aux différentes élections qui rythment la vie du pays. Ainsi, au premier tour des élections municipales de 2020, seuls 45% des inscrits sur les listes électorales se sont rendus aux urnes contre 73% en 1989. Cette régression de la participation est visible de la même manière aux législatives, aux européennes, aux régionales et, d’une manière moins marquée, aux départementales.
Il est pourtant un rendez-vous dont les français se détourne moins : les élections présidentielles. Ainsi, la participation régresse également aux présidentielles depuis 2007 mais de manière moins marquée. Entre ces deux types d'élections, locales et présidentielles, qu’on pourrait qualifier de premier et second rang, un écart se creuse.
Mais un symptôme commun rassemble toutes les élections en France : celui de la faible participation des jeunes. Dans tous les suffrages gronde la menace d’un désintérêt toujours plus marqué des jeunes pour la politique. Chez les 25-29 ans par exemple, l'abstention systématique aux présidentielles, c’est-à-dire la part des inscrits ne se déplaçant ni au premier tour ni au second, a atteint des sommets : 24% en 2017 contre 16,8% en 2012 et 11% en 2007. Il en va de même pour les 18-24 ans. Dans toutes les élections de ces dernières années, les jeunes ont toujours un taux d'abstention plus élevé que le reste de la population.
L’engagement citoyen, la chute de l’influence des partis, la diminution de l’affiliation idéologique : tous les maux touchant la société dans son ensemble sont exacerbés dans les plus jeunes générations. A la source de cette fissure de la participation : la défiance généralisée envers les personnalités politiques et les institutions. Toutes les enquêtes d’opinions vont aujourd’hui dans ce sens. Anne Muxel parle par exemple d’une « érosion de la confiance dans les institutions
de la démocratie représentative (qui) se traduit par une détérioration de la participation d émocratique classique ».
Cette perte de repères politiques et l’affaiblissement du lien unissant élus et citoyens a malheureusement des conséquences concrètes sur le positionnement de la jeunesse à propos de sujets essentiels pour l’équilibre de notre société. Le ressenti de la jeunesse est nourri par les crises à répétitions, les scandales financiers, les rumeurs contre la probité des dirigeants en place mais aussi la précarisation de l’emploi au moment d’entrer sur le marché du travail qui mène à alourdir les difficultés financières d’une partie de la population.
L’institut Montaigne, dans un rapport sur la jeunesse publié en février 2022, pointe ainsi du doigt le déclin de l’attachement des jeunes au principe même de démocratie. Sur un panel d’individus âgé entre 18 et 24 ans, seulement 51% déclarent l’importance d’un gouvernement démocratique comme “très important” contre 59% pour la génération de leurs parents et 71% pour la génération des baby boomers. Cette étude reflète parfaitement ce qui est visible dans les urnes : une crise démocratique est peut-être sur le point d’éclater et elle viendrait de la génération de citoyens nés dans les années 2000.
Les jeunes ne se détournent pas totalement de la vie publique
Mais si les jeunes se détournent du vote, cela ne veut pas dire qu’ils sont indifférents aux grandes causes de notre temps et que leur implication dans la vie sociétale est nulle. Vincent Tiberj théorise par exemple 2 types de citoyenneté : la citoyenneté “déferente” qui est incarnée par la génération des individus nés avant seconde guerre mondiale et la citoyenneté “distante” qui est de plus en plus représentée par les jeunes générations.
Les premiers voient le vote comme une véritable obligation en tant que citoyen, le principal moyen d’expression en démocratie, dit autrement : un rendez-vous incontournable. Chez les seconds, la mauvaise image actuelle des institutions et le rapide changement des moyens de communication ont conduit à un renouveau du champ des possibles de l'engagement civique. Toujours plus de jeunes cessent d’être alignés avec la vision de leurs grands-parents et préfèrent des moyens d’expressions alternatifs.
Plus enclins à manifester, leur énergie collective est décuplée lorsque l’engagement touche des sujets forts comme les inégalités, le chômage, le racisme ou encore l’écologie. Avec le temps, la mobilisation s’est aussi déportée sur les réseaux sociaux avec la présence toujours plus importante d’appels à boycott (comme nous avons pu le voir avec la campagne de Raphaël Glucksmann contre l’exploitation des Ouighours) ou de pétitions en ligne. La jeunesse n’est donc pas totalement désintéressée de la vie publique mais s’éloigne plutôt des modes d’expression conventionnels.
D’ailleurs, selon une étude de la fondation Jean Jaurès, les 18-24 ans se déclarent plus majoritairement engagés que leurs aînés notamment grâce à l’existence de ces nouveaux moyens d’expressions (72% contre 55% chez les 65 ans et plus).
Il est aussi à noter que la jeunesse est plurielle et que même au sein d’une même génération, de fortes différences existent notamment concernant l’engagement. En France par exemple, la littérature sociologique est unanime : le niveau d'engagement, d’affiliation à un parti ou encore le vote sont toujours liés au niveau d’éducation. Le caractère social du vote est incontournable pour essayer d’expliquer le niveau d'abstention. L’institut Montaigne le montre bien en regardant le taux de 18-24 ans déjà positionné sur l'échelle gauche-droite : ils ne sont que 42 % dans la cohorte d’individus ayant comme niveau de diplôme “brevet des collège ou inférieur” contre 67% chez ceux ayant un bac+3 ou supérieur.
Déçus par les hommes politiques qu’ils trouvent majoritairement corrompus (69% chez les 18-24, 67% pour les baby boomers, toujours selon l’Institut Montaigne), les français réinventent la citoyenneté pour ne plus être considérés comme de simples électeurs. Chacun veut maintenant être acteur du combat des idées. Il n’est plus rare de croiser des étudiants investis dans de multiples des projets associatifs, habités par le souhait d’aider la communauté mais incapables de décider pour qui voter.
Le terreau du blocage électoral semble prendre forme avec ces observations. Une population, davantage éduquée grâce à la démocratisation des études supérieures, souhaitant être toujours plus acteur de la vie en société, rencontre des gouvernements successifs qui verrouillent toutes prises de décision et s'accaparent toute information considérée comme sensible.
Exigeance et transparence : vaincre le mal par l’open data
La crise de confiance que nous traversons (et qui impact particulièrement la jeunesse) n’existerait peut-être pas si la France appliquait à la lettre et, avec des moyens modernes, l’article 15 de la déclaration des droits de l’homme à savoir : “La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration.” Aujourd’hui les administrations, ministères et collectivités possèdent, comme les entreprises du secteur privé, un nombre important de données.
Mais qu’est-ce que la donnée ? Une donnée est le résultat d’une mesure fournie automatiquement par un capteur ou renseignée de manière manuscrite. Une donnée est toujours stockée dans une base de données. C’est une valeur qui consiste par exemple en un horaire de train, la date de création d’une entreprise ou encore une indication de présence d’un député à l’assemblée nationale. Ces données vont se transformer en information quand elles vont être exploitées, puis de plusieurs informations vont émerger une connaissance.
L'État et les collectivités travaillent donc avec des données liées à leurs activités respectives pour essayer de comprendre l’impact de mesures, gérer des budgets ou conseiller la population sur des comportements à adopter. La mise à disposition de ces données de manière simple, gratuite, et exploitable par tous est appelée open data. La notion d’open data est aussi présente dans les entreprises du privé mais elle prend tout son sens dans le public où la majorité des données et leur exploitation sont déjà financées par le contribuable et peut concerner des informations budgétaires précises que n’importe quel citoyen devrait être en droit d’approcher.
La non-accessibilité à l’information fait peser sur la société de multiples menaces. Tout d’abord, cela installe un climat de défiance, renforçant le sentiment d’une gestion hasardeuse des fonds publics et accentuant la distance toujours plus grande qui existe entre la population et les institutions. Par ailleurs, une ouverture de la donnée éviterait les soupçons de corruption. Il est par exemple inexplicable que dans notre société moderne et démocratique, il ait fallu attendre un rapport du sénat, publié après un travail acharné, pour que soit mis sur le devant de la scène l’explosion des dépenses liées à des missions facturées par de grands cabinets de conseil. L’affaire McKinsey qui s’est invitée pendant la campagne de l'élection présidentielle de 2022 est le symptôme d’un contrôle de l’information par l'État qui doit absolument cesser.
L’open data est un enjeu démocratique car il permet aux citoyens de plus facilement juger l’action de l’administration voire parfois même d’en repérer les erreurs, fournissant aux individus les moyens d’imaginer leurs propres solutions. Il s’agit aussi d’un enjeu économique car il encourage les entreprises et les chercheurs à exploiter des données appartenant à l'État évitant ainsi des dépenses inutiles. Enfin elle facilite l’échange des connaissances entre différentes entités administratives, voire dans certains cas, à l’intérieur même d’une administration.
Contre la crise démocratique, ce concept fournit les armes d’un changement massif : repenser la société dans son ensemble et mettre la participation au centre de futurs projets politiques. Les citoyens et par-dessus tout, les jeunes, ont besoin, acculés par l’accumulation de scandales à tous les niveaux de l'État, d’un renouveau de la notion de transparence démocratique. La jeunesse, lasse d’être simple spectatrice d’un jeu politique incarné par des hommes et des femmes inspirant la défiance, ressent le besoin de s’impliquer et de comprendre : l’open data offre une réponse technique et juridique à tous ces besoins.
Les contradicteurs de cette vision affirment que, même avec la mise en place de solutions techniques et de plateformes dédiées à la donnée publique, les citoyens n’auront ni le temps, ni la motivation, ni les connaissances pour exploiter les données. Pire, l’extrême minorité qui en profitera se gardera bien de partager les connaissances au plus grand nombre. Ces arguments sont utilisés par une partie de la classe politique dépassée par une époque qu’elle n’arrive pas à apprivoiser, trompé par son propre immobilisme.
La crise du COVID nous a donné un parfait contre-exemple. Quand en mai 2020 le gouvernement et les médias français peinent à regrouper les chiffres du nombre de contaminés et de morts, à structurer des informations médicales en provenance des ARS ou directement des hôpitaux, la population se tourne en partie vers Covid Tracker, un service exploitant la donnée publique. Créé par Guillaume Rozier,ce site sous forme de tableau de bord va permettre à des millions de français de suivre jour après jour l’évolution de l’épidémie. L’information y est si bien organisée que des membres de l'État vont indiquer l’utiliser dans l’exercice de leurs missions. La députée ex-LREM Paula Forteza a estimé (pour L’Opinion) que « le premier réflexe de l’exécutif a été celui de la culture du secret selon laquelle on communique des données par PDF ou uniquement à certaines personnes, spécialistes des questions numériques. L’Etat a été très lent à identifier ces initiatives et à leur faire une vraie place dans la stratégie de lutte contre la Covid ». Cet exemple illustre l’opportunité pour l'État de pousser ce type d’initiative. Dans un autre registre, Guillaume Rozier créera quelques mois plus tard le site Vite Ma Dose qui permettra d’optimiser la vaccination des français en difficulté à cause d’un nombre de doses de vaccins limité.
L’ouverture de l’information ne va pas résoudre à elle seule tous les problèmes liés à la participation des jeunes mais agit comme l’amorce d’un vaste chantier politique. C’est à la fois une orientation logique, permettant de répondre aux difficultés contemporaines mais c’est aussi et avant tout un symbole fort. Nous voyons que le rapport à la citoyenneté évolue, il serait contre productif de ne pas essayer d’accompagner ce mouvement. Sous le premier mandat d'Emmanuel Macron, la majorité s’est d’ailleurs penchée sur le sujet à travers le rapport d’Eric Bothorel, remis au Premier ministre Édouard Philippe en décembre 2020.
Ce rapport insiste sur la nécessité d’accélérer la politique d’ouverture des données. Certaines décisions sont saluées, comme la mise en œuvre d’une loi pour une République numérique en 2015 qui avait pour objectif de confier aux administrations de larges responsabilités sur la diffusion gratuite des données accompagné d’un cadre juridique solide. Seulement, le rapport fait état d’un échec, la plupart des administrations se dérobant même à la loi par manque de connaissance du sujet et de volonté. Eric Bothorel insiste donc sur le caractère obligatoire d’une politique open data puissante en indiquant qu’il faudrait fortement faire évoluer le nombre de données disponibles, leur richesse, leur qualité et leur accessibilité. Même si des efforts ont été faits et qu’un mouvement existe, nous sommes encore bien loin d’une société basée sur la transparence.
Il est étonnant que la dépolitisation n’ait pas été un sujet phare de la dernière campagne présidentielle. Seuls certains candidats comme Jean-Luc Mélenchon se sont risqués à faire des propositions sur le sujet parfois très radicales. Mais c’est l’ensemble de la classe politique qui doit, porté par un souhait d’inclusion, diffuser le débat dans l’espace public. Un changement de paradigme, la renaissance de la confiance entre élus et citoyens pourrait redynamiser la participation à la vie politique française et surtout redonner aux jeunes le pouvoir de choisir et surtout le besoin de décider.
Il est un moment où, fière de sa position dans la société, se trouvant écoutée, heureuse de voir son avis porté jusqu’au plus hautes positions de l’état, la jeunesse, consciente de sa force, va alors retrouver le chemin de l’engagement.